Porcupine Tree - Paris, 11/2022


par Jean-Pierre Sabouret
En toute franchise, je faisais partie de ceux qui avaient fini d’espérer, d’autant que Steven Wilson s’agaçait volontiers lorsqu’on lui évoquait le retour de Porcupine Tree (« Ce serait un grand pas en arrière pour moi ! »). Et bim ! Un album et une grosse tournée ont plus que ravivé une flamme qui n’aurait jamais dû s’éteindre.
Après tout, l’aventure en solitaire de Wilson n’aurait pas fait double emploi en parallèle de PT, comme il l’a fait avec tant de projets (No-Man, Blackfield, Storm Corrosion, Bass Communion, Incredible Expanding Mindfuck…). 35 ans après la naissance officielle du groupe, Wilson a donc préféré saborder sa carrière solo après la tournée avortée de l’album The Future Bites (dommage collatéral de la pandémie), pour faire renaître de ses cendres Porcupine avec deux de ses anciens complices, le vétéran Richard Barbieri (aux claviers depuis 1993 et partenaire dans No-Man, mais aussi membre de Japan depuis 1974, avec en outre des collaborations avec le chanteur de Marillion, Steve Hogarth…) et le tout autant vétéran Gavin Harrison (à la batterie depuis 1993 et collaborateur régulier de Steven en solo ou dans Blackfield, Storm Corrosion ou No-Man, quand il n’officie pas avec King Crimson, The Pineapple Thief, Jakko Jakszyk, Claudio Baglioni, Barbara Gaskin ou OSI…). Le troisième « revenant », Colin Edwin (basse depuis 1993 et également de l’aventure No-Man, ou avec son co-fondateur Tim Bowness…), n’était toutefois pas présent sur scène, l’impressionnant Nate Navarro tenant la basse comme il l’a si bien fait, malgré son jeune âge, avec Devin Townsend, Steve Vai, Chad Kroeger ou Marco Minnemann…). Mais le nouvel atout plus que remarquable de la version 2022 de Porcupine reste sans nul doute Randy McStine. Tant à la guitare qu’au chant par ce jeune surdoué a fait merveille. Précisons au passage qu’il fait un peu partie de la famille puisqu’on avait notamment vu avec le formidable batteur Marco Minnemann – album McStine & Minnemann (lequel a longtemps épaulé Wilson avant de partir légèrement fâché), mais aussi avec le non moins respectable Craig Blundell, membre de la team Steven Wilson de 2017 à 2019, ou encore avec le claviers de Steven ces dernières années Randy McStine.

Photo : Benjamin Delacoux
Comme le prouvera ce concert magistral, l’incarnation 2022 de Porcupine Tree n’a absolument rien à envier à toutes les formules qui ont précédé. À la veille de son 55e anniversaire, Steven s’excusait presque des « douze années » d’absence de son « groupe », même s’il ne laisserait ensuite jamais planer le moindre doute sur le fait que c’est plus que jamais lui le patron, autant que lorsqu’ il l’était en solo. Guitare en main il est le seul à parcourir de long en large une scène aussi spacieuse que dépouillée, permettant une vision parfaite où qu’on soit dans la salle. Les autres semblaient être tout au plus autorisés à avancer ou reculer, mais jamais à envahir la zone du Grand Maître. Même lorsqu’il lui arrivait de se retrancher aux claviers, Wilson conservait une position dominante que nul ne saurait lui contester.
C’est ce nouvel équilibre qui frise la perfection qui explique la prodigieuse efficacité de Porcupine Tree sur scène lors de ce concert. Probablement grâce à son escapade en solo, mais aussi grâce à ce judicieux casting, Wilson semble bénéficier d’une meilleure assurance au chant en même temps qu’un retour au premier plan à la guitare, avec des envolées instrumentales inouïes. D’autant que dans la setlist, il a privilégié les morceaux les plus rock ou metal du répertoire on ne peut plus hétéroclite de Porcupine. On pouvait craindre le pire lorsque Steven a lancé les hostilités avec une version surpuissante de « Blackest Eyes » avant d’expliquer, alors qu’on reprenait notre souffle, qu’il allait ensuite jouer l’intégralité (pieux mensonge) de ce Closure/Continuation, qu’il trouvait « plutôt réussi », mais qui n’a guère fait l’unanimité (et qui ne m’a guère emballé jusqu'à présent). Contre toute attente, en live, l’enchaînement plus que vigoureux de « Harridan », « Of The New Day » et « Rats Return » en a certainement convaincu plus d’un de réviser sa précédente perception de l’album. Un peu plus tard, « Dignity », « Chimera’s Wreck », « Walk The Plank » et « Herd Culling », achèveront d’inciter les plus incrédules à donner « une nouvelle chance au produit ».

Photo: Benjamin Delacoux
Même en plus de deux heures trente, il était impossible d’opérer un résumé satisfaisant de l’imposante discographie de Porcupine Tree. Quitte à omettre quelques perles que l’on pensait incontournables, « Lazarus », « Shallow » ou « Arriving Somewhere But Not Here » en tête, Wilson a sélectionné une enfilade sans temps morts, ou presque, des plus anciens, et plutôt inattendus, morceaux (« Even Less », « Last Chance to Evacuate Planet Earth Before It Is Recycled », « Buying New Soul », « Collapse the Light Into Earth », « Halo », « Trains »), comme les (hum) plus récents, mais plus prévisibles, car donnant la part belle au monumental Fear Of A Blank Planet (« Fear Of A Blank Planet », « Sentimental », « Anesthetize », « Sleep Together »). Le patron n’a dès lors guère créé de frustrations dans le public, plutôt prompt à taper du pied bruyamment pour en réclamer encore plus dès la moitié du concert.
Si le sarcastique et « visionnaire » leader de Porcupine s’est laissé aller à quelques pointes d’humour, pas toujours capté par un public venu en masse (à vue de nez, il devait juste rester deux ou trois places à vendre pour une grande jauge du Zénith estimée à 6 500), il a visiblement trouvé le juste milieu entre les prestations de rock stars les plus exubérantes (ou irritantes) et celles des artistes plutôt introvertis voire timorés. Si Porcupine pouvait sembler quelque peu difficile d’accès, voire abscons, ce n’est assurément plus le cas aujourd’hui. Non seulement Porcupine se hisse au niveau des icônes du genre auquel il a été associé (de Pink Floyd à Genesis en passant par King Crimson ou Yes), mais, avec un show aussi millimétré que cohérent (mention spéciale à l’utilisation judicieuse et jamais racoleuse d’un immense écran vidéo) et une qualité sonore proche de la perfection, le groupe s’ouvre de formidables perspectives. Bien loin de toutes ces reformations foireuses auxquelles on a assisté ces dernières années, on piaffe d’impatience en attendant l’album live (notamment pour les nouveaux titres) et un prochain effort studio qu’on espère réalisé avec la même équipe.
Jean-Pierre Sabouret
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